Après l'attaque israélienne et les sanctions US contre la Syrie:
Israël a bombardé un ancien camp palestinien près de Damas, ce 5 octobre. Le Congrès américain va voter de nouvelles sanctions contre la Syrie. Pourquoi cette agressivité guerrière d'Israël et des États-Unis? Va-t-on vers une généralisation de la guerre au Moyen-Orient? Réponses avec Mohammed Hassan, spécialiste de la région.
David Pestieau
Comment expliquer cette attaque d'Israël contre la Syrie?
Le marxiste afro-arabe Mohammed Hassan: «Sharon n'arrive pas à venir à
bout des Palestiniens, c'est pourquoi il s'attaque à la Syrie.» (Photo
Solidaire).
Il y a d'abord la situation interne en Israël. Sharon, le Premier ministre israélien a été élu parce qu'il a promis d'obtenir la paix. En écrasant ce qu'il appelle le terrorisme palestinien.
La situation actuelle est tout le contraire. La résistance palestinienne reste debout et les conditions économiques se dégradent. Selon le quotidien Al Qods, 40.000 Israéliens ont
émigré hors du pays cette année. La crise et la peur des attentats font que ceux qui en ont les moyens partent se mettre à l'abri ailleurs. Les contradictions de classes dans la société augmentent jusqu'au plus haut niveau de l'armée. Que près de 200 pilotes de Tsahal (l'armée israélienne) refusent aujourd'hui de bombarder Gaza et la Cisjordanie en est l'expression la plus manifeste.
Incapable de mettre la résistance palestinienne au pas, ni de mettre au pas le Hezbollah au Sud-Liban, Sharon veut maintenant s'attaquer à la Syrie. Et sans doute aussi à terme à l'Iran, allié puissant de la Syrie.
Mais les États-Unis avaient-ils aussi intérêt à cette attaque?
Mohammed Hassan. Tout indique que l'équipe Bush était au courant. Eux aussi s'imaginaient qu'après la chute de Bagdad en avril, il n'y aurait pas de résistance en Irak, que la démoralisation due à la défaite frapperait tout le monde arabe, que dans un Moyen-Orient sous domination US, Israël verrait s'ouvrir un grand marché économique, et qu'un pays de la ligne de front (ligne séparant Israël et les pays arabes frontaliers) comme la Syrie ne maintiendrait pas son opposition ferme à Israël.
Six mois plus tard, la résistance irakienne porte des coups de plus en plus durs à l'armée US, les États-Unis dépensent des milliards sans aucune perspective de sortir du tunnel.
Ils devraient plutôt être moins agressifs, non?
Mohammed Hassan. Non, Bush et Sharon sont tous deux dans un bourbier. Soit ils négocient, soit ils élargissent la guerre comme fuite en avant. C'est cette deuxième option qu'ils semblent aujourd'hui privilégier. Mais c'est un aveu de faiblesse: pour cacher les problèmes internes, on les exporte. Cela vaut pour Israël comme pour les États-Unis.
Israël prétend qu'il peut encore frapper la Syrie, il désigne déjà les maisons à Damas où habitent des dirigeants de la résistance palestinienne, du FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine) comme du Hamas. La Commission des Relations Extérieures du Congrès Américain vient de décider de nouvelles sanctions contre la Syrie, l'accusant de soutenir le terrorisme et de cacher des armes de destruction massive, reprenant exactement les mêmes accusations proférées contre l'Irak.
Les États-Unis, avec Israël, sont en route pour élargir la guerre comme ils l'avaient fait au cours de la guerre du Vietnam en bombardant le Cambodge et le Laos, pays frontaliers, qui n'avaient aucun lien avec la guerre en cours.
Certains analystes affirment qu'Israël veut tester la réaction de la Syrie.
Mohammed Hassan. En effet. Israël, comme les États-Unis, agissent militairement contre la Syrie mais aussi via leurs services secrets. Depuis des années, ils veulent diviser le Front Uni au pouvoir en Syrie, une alliance entre le Parti Baath, le parti Communiste de Syrie et d'autres forces nationalistes arabes. Ils veulent favoriser l'émergence d'une bourgeoisie pro-impérialiste comme alternative politique.
L'attaque du 5 octobre a eu l'effet inverse: les différentes composantes du Front Uni ont réagi très énergiquement par des déclarations très fermes. Les organisations palestiniennes ont exprimé leur soutien à la Syrie, affirmant qu'elles considéraient toute attaque contre la Syrie comme une attaque contre le peuple palestinien et qu'elles agiraient en conséquence.
Il y a donc des communistes qui participent au pouvoir en Syrie, en alliance avec des forces nationalistes arabes. Ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays de la région.
Mohammed Hassan. Le PC syrien est un des plus vieux partis communistes du monde arabe. Né en 1930, il a participé au Congrès de l'Internationale Communiste de 1935, le Congrès du Front Uni contre le fascisme. Les trois partis du monde arabe présents, le Parti communiste de Syrie, celui de Palestine et d'Irak, ont tracé leurs buts stratégiques: pour avancer vers la réalisation du socialisme dans le monde arabe, il faut se libérer de l'emprise de l'impérialisme. Unifier la nation arabe divisée par le colonialisme. Créer une entité unique politique et économique.
Ainsi ont été posées les bases de l'alliance des partis communistes avec le courant nationaliste arabe portée par la bourgeoisie nationale arabe.
Inévitablement des contradictions existent dans ces fronts, mais ces contradictions ne doivent pas écarter les communistes de la tâche du moment. Pour chasser les Japonais du pays, les communistes chinois ont d'abord fait alliance avec Tchiang Kai-Chek, qui avait pourtant tué plus de communistes que tous les dirigeants nationalistes arabes réunis.
Le front entre communistes et nationalistes s'est développé en Syrie sous la forme du «Front Uni», formé dès les années 68-70 et qui dirige l'État syrien.
Ce front a pu se maintenir dans des conditions souvent très difficiles. L'Égypte nationaliste jusque dans les années 70 s'est tournée de plus en plus vers les États-Unis laissant seule la Syrie comme pays de la ligne de front face à Israël.
Dans les années 80 et 90, la Syrie a remplacé son alliance avec l'Égypte par une alliance avec l'Iran. Elle a contribué militairement à la défaite d'Israël au Liban: Israël a dû se retirer du Sud-Liban et les phalanges chrétiennes pro-israéliennes ont été complètement marginalisées de la vie politique libanaise. Aussi l'impérialisme veut tout faire pour briser ce Front Uni, pour diviser les communistes et les nationalistes arabes.
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