Qui En Profite?

En Particulier Les Multinationales Américaines

Irak: Les profits garantis du faucon business

Les révélations de deux députés californiens soulignent le pillage auquel est soumis le pays par des firmes américaines, comme Halliburton, proches du clan Bush.

Le juteux marché de la reconstruction de l'Irak est totalement entre les mains de sociétés américaines et parmi elles les deux multinationales Halliburton (ingénierie pétrolière) et Bechtel (BTP), très proches des faucons au pouvoir à Washington. Deux élus californiens à la Chambre des représentants viennent de lancer un pavé dans la marre aux États-Unis en soulignant comment ces deux groupes, et en particulier Halliburton, qui fut dirigé jusqu'en 1995 par l'actuel vice-président Dick Cheney, ont confisqué les contrats les plus prometteurs ou surfacturé leurs services dans un environnement où ils évoluent en situation de quasi-monopole.

Henry Waxman et John Dingell, les deux députés qui enquêtent depuis des mois sur le sujet, viennent d'envoyer une lettre ouverte adressée au Pentagone qui pointe de quelle manière Halliburton s'enrichit à très bon compte sur le dos des contribuables américains et du peuple irakien.

Leurs révélations suscitent aujourd'hui une formidable controverse outre-Atlantique. De premières investigations au sein d'une commission chargée du contrôle de l'exécutif avaient conduit le représentant Henry Waxman à s'insurger dès le mois de mai dernier contre un contrat pour la réparation des puits de pétrole passé sans appel d'offres entre le corps des ingénieurs de l'US Army et la société Kellog Brown and Root (KBR), une filiale d'Halliburton. Il découvrait rapidement que KBR n'allait pas profiter uniquement du marché de la remise en état des puits, mais qu'elle avait bénéficié, précise Waxman, des mêmes faveurs pour se faire octroyer " la gestion de ces installations et la vente de la production ". Autrement dit, le groupe Halliburton est devenu concessionnaire d'une partie des réserves de pétrole irakiennes.

Quand Halliburton surfacture ses services à l'armée américaine, ce que prouvent les dernières découvertes des deux élus californiens, l'affaire prend une dimension sans doute encore plus grave aux yeux de l'opinion américaine. Car ce n'est plus alors seulement le peuple irakien qui est victime de pillage, mais aussi le contribuable américain qui est abusé. Waxman et Dingell soulignent par exemple que le gallon d'essence (un peu plus de 3,5 litres) acheté 70 cents au Koweït est revendu à l'armée américaine par KBR – c'est-à-dire la filiale de l'incontournable société texane – au prix de 1,59 dollar. KBR se défend en invoquant le coût du transport, mais le Koweït est aux portes de l'Irak, à 700 kilomètres de Bagdad, et, de l'avis de tous les experts, le prix total du gallon ne devrait pas dépasser 96 cents.

Plus accablant encore, l'argent qui a servi à payer ainsi grassement les services de la filiale d'Halliburton aurait été, selon les élus californiens, prélevé sur le fonds des Nations unies " pétrole contre nourriture ". Après la victoire américaine, la gestion de ce fonds a en effet été transférée fin mai à l'autorité provisoire irakienne sous contrôle américain. Et, de l'avis du corps des ingénieurs de l'armée US, c'est dans cette caisse baptisée désormais " fonds de développement de l'Irak " que les militaires auraient puisé 600 millions de dollars pour payer leur approvisionnement en carburant à Halliburton.

L'essence n'est pas la seule source de profits garantis ultrarapides pour les firmes américaines impliquées dans le marché de la reconstruction. Selon les confidences d'un juge irakien recueillies par les deux élus démocrates, la remise en état des 20 commissariats de la ville de Bassora aurait été facturée 25 millions de dollars par des entreprises américaines. Une prison toute neuve aurait coûté de la même façon 50 000 dollars.

L'ONG britannique Christian Aid avait fait sensation au début de la conférence des donateurs à Madrid avec des révélations du même type que celles des deux membres de la Chambre des représentants. Elle soulignait, à l'aide d'un rapport très documenté, que 4 milliards de dollars gérés par l'autorité provisoire de la coalition avaient disparu sans que celle ci puisse expliquer l'affectation de cet argent. Paul Bremer, qui a rejeté ces accusations, n'a toutefois pas été capable d'apporter de preuves convaincantes, se contentant de promettre " une prochaine transparence totale sur Internet ".

Il paraît difficile dans ces conditions de mobiliser sérieusement un effort international, indispensable pourtant à la reconstruction du pays. Sur les 115 projets répertoriés aujourd'hui par l'autorité provisoire irakienne dirigée par Bremer, seulement 25 seraient éventuellement attribués à des entreprises irakiennes. De quoi alimenter aussi sur le terrain irakien les pires frustrations, et donc à son tour l'instabilité, l'insécurité qui prévalent dans ce pays exsangue, parasitant tout effort sérieux de reconstruction.

Bruno Odent


Irak: à qui profite la reconstruction?

Alors qu'elle fait les comptes de la campagne d'Irak, l'administration Bush s'aperçoit que l'invasion a coûté 45 milliards de dollars, que l'occupation du pays nécessite près de 4 milliards de dollars par mois et qu'il faudra peut-être 5 ans à ce tarif pour stabiliser le pays. Le Middle East Policy Council estime, par ailleurs, que le coût de la reconstruction devrait s'élever à 200 milliards sur 10 ans (voir Tribunes libres internationales numéro 180).

Si ces chiffres ont de bonnes raisons d'inquiéter les contribuables états-uniens, le World Policy Institute remarque que certaines sociétés privées aux États-Unis peuvent au contraire s'en réjouir. Dans une étude documentée, le think tank souligne d'abord la privatisation rapide de l'armée états-unienne. Pour l'opération «Iraqi Freedom», les États-Unis ont déployé un militaire privé pour dix soldats, soit dix fois plus qu'en 1991. Les auteurs du rapport étudient ensuite l'importance croissante de sept sociétés privées sous-traitantes des armées états-uniennes. Leurs liens avec certains membres de l'administration sont également mentionnés:

Lockheed Martin, 1er fournisseur du Pentagone, dont l'ancien vice-président, Bruce Jackson, a été directeur financier de la campagne présidentielle de George W. Bush.

Boeing, 2nd fournisseur du département de la Défense, ayant financé le lobbying en faveur de George W. Bush en 2000.

Raytheon, marchand d'électronique militaire, célèbre pour ses missiles «Patriots» et «Tomahawks».

Alliant Techsystems, fournisseur de «petites» munitions pour fusils d'assaut et tanks.

Halliburton, dont le vice-président Dick Cheney est ancien PDG, qui a obtenu le tout premier contrat de reconstruction en Irak, avant que l'invasion n'ait commencée.

Bechtel, qui a remporté en avril 2003 un contrat de 680 millions de dollars pour la reconstruction d'infrastructures en Irak. En 1983, cette entreprise avait déjà obtenu un contrat de construction d'oléoduc en Irak, négocié directement par Donald Rumsfeld auprès de Saddam Hussein.

DynCorp, société de mercenaires mandatée pour mettre en place des structures policières, judiciaires et correctionnelles. Elle espère un retour sur investissement de 50 millions de dollars pour la première année.

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